Le souvenir de l’Expo 67 revit à l’Île Ste-Hélène

 

Par Jean-Guy Renaud VE2AIK

Il existe de ces rêves que l’on ne cesse de poursuivre en dépit des obstacles qui se dressent sur leur route et qui les rends de plus en plus inaccessibles. Le récit qui suit est à juste titre un exemple de ténacité pour enfin réaliser l’un de ces rêves.

Le rêve

L’histoire commence en l’an 2002 alors que Roland VE2PX présente à l’UMS un projet de Field Day qui prendra place sur l’Île Ste-Hélène en souvenir de l’Expo 67. On se souviendra sans doute que les radioamateurs avaient accompli un travail remarqué lors de cette exposition universelle de calibre international en opérant presque jour et nuit une station amateur installée dans le Pavillon de la Jeunesse. Cette présence des radioamateurs avait permis de faire plus de 6000 contacts dans 200 pays différents.

VE2PX était âgé de 47 ans à cette époque et c’est lui qui avait été chargé, en 1967, de mettre sur pied une telle organisation. En 2002, 35 ans plus tard, il revenait à la charge avec un projet de Field Day qui ferait revivre la participation des radioamateurs sur le site de Terre des Hommes. Des démarches nombreuses avaient été faites auprès de la Ville de Montréal mais les obstacles et les objections des autorités de la ville avaient fait avorter le projet dans l’oeuf.

La suite...

Mais ce rêve dont je parlais au début avait survécu aux objections des fonctionnaires de la ville. Loin de l’avoir oublié, Roland avait persévéré et rêvait au jour où un événement important pourrait de nouveau mobiliser la communauté radioamateur autour de son projet. Ce moment arriva au Hamfest de Sorel en mai 2007! VE2PX avait aperçu l’unité d’urgence de RAQI dans laquelle il voyait toujours, tel un fantôme, son rêve reprendre vie. Après avoir parlé au président de RAQI Mario VE2EKL, Roland a rencontré Jacques VE2DJQ pour lui souffler à l’oreille qu’il venait d’avoir une idée de fou et lui a demandé s’il voulait embarquer avec lui! Jacques a tout de suite répondu par l’affirmative et tous les deux se mirent immédiatement à la tâche pour élaborer leur stratégie. Primo, une lettre au maire de Montréal pour lui proposer un projet dans lequel la communauté radioamateur serait le maître d’oeuvre. Secondo, garder le projet dans le plus grand secret jusqu’à l’autorisation de la ville pour ne pas créer d’attentes et risquer ainsi de décevoir les radioamateurs. Tertio, impliquer un club pour appuyer une telle démarche. Le choix du club se portait sur l’UMS. “Nous ne nous étions pas trompé, disait Jacques , l’UMS a répondu avec éclat et enthousiasme à la demande faite par Roland”. Cette première lettre demeura sans réponse. Loin de se décourager, Roland en écrivit une deuxième. Il en aurait même écrit une troisième et une quatrième s’il eut été nécessaire de le faire, tellement il avait l’intuition que cette fois serait la bonne!

Quelques jours plus tard, il recevait un appel téléphonique de la responsable des événements estivals au Parc Jean-Drapeau. Notre tenace ami était convoqué à une rencontre à son bureau. Enfin, quelqu’un avait entendu son appel, j’oserais même dire sa prière!

Implication de Jacques VE2DJQ

Ceux qui connaissent Jacques savent qu’il est tout aussi tenace que son ami Roland et on sait aussi qu’il ne manque jamais une occasion de faire la promotion du Musée de la radio. Son ami lui ayant demandé de l’accompagner pour cette entrevue, on retrouve nos deux complices ensemble dans les bureaux du Parc Jean-Drapeau le 18 juin. C’est à Jacques que revient la tâche d’expliquer ce projet à la responsable des activités au parc.

Le signal du départ

Entre temps, Roland avait demandé à Claudette VE2ECP, secrétaire de l’UMS, de faire parvenir un message annonçant l’événement en préparation. Remarquez que nous sommes le lundi 9 juillet. L’autorisation est valable à partir du 13 jusqu’au 29 juillet inclusivement. Quatre jours et trois nuits pour mettre en branle une organisation qui va se prolonger durant deux semaines!

Un autre courriel est envoyé par Roland à 42 clubs à travers la province, invitant ceux-ci à participer s’ils le désirent. La réponse est plutôt décevante mais il ne faut pas perdre de vue que nous sommes en plein été et que généralement, mis à part l’organisation des Hamfests, les clubs sont plutôt tranquilles durant cette période. Seuls, le MARC et l’UMS répondent à l’appel.

Le soir même, le projet est rendu public au réseau estival de l’UMS, par une invitation lancée à tous les radioamateurs de bonne volonté pour participer à l’installation de l’unité mobile de RAQI, d’une station radio qui devra être opérationnelle le vendredi suivant à 15h et d’opérateurs pour la garder en marche durant cette période.

À partir de ce réseau, une opération majeure se met en branle. Jean VE2JMK, chez qui est garée l’unité mobile d’urgence de RAQI pour une réparation mineure, reçoit une demande de Roland, qui avait reçu une autorisation de Mario pour ce faire, de transporter celle-ci sur le site de l’Île Ste-Hélène pour le jeudi suivant.

L’organisation

Durant la matinée de ce fameux lundi, en réponse au message de Roland, j’ai reçu un appel du président de l’UMS, Daniel VE2SB, me disant qu’il était dans l’impossibilité absolue de participer à cet événement à cause de son travail et il me délègue la responsabilité de coordonner ce projet au nom du club.

Ma première pensée a été de trouver une personne qui sera chargée de trouver des volontaires pour opérer la station durant deux semaines tout en gérant les horaires des opérateurs selon la disponibilité de chacun. Je rejoins René, VA2RDB, à son bureau. Il avait accompli ce travail à l’occasion du dernier Field Day du club et s’en était acquitté avec tous les honneurs. Sans même poser une question, il accepte sur le champ et dès le lendemain, il avait réussi à compléter les horaires de la première semaine.

Les choses se précipitent et nous proposons un réseau spécial pour le jeudi suivant, veille du début de l’opération. Ce réseau sera animé par Armand VE2DVZ, et rendra compte à la communauté radioamateur de l’avancement du projet.

On fait confiance à Roland, l’instigateur de ce méga-projet. N’a-t-il pas promis à toute l’équipe que tout va très bien se passer car, “son projet, dit-il, “est béni des dieux et que, même si c’est un gros projet, il nous a quand même accordé assez de temps pour le mettre en route”. Un gros trois jours! Il en profite du même souffle et l’air de rien, pour nous annoncer qu’il a pris un engagement ferme avec l’ARRL pour le vendredi, 13 juillet à 15h, pour établir le tout premier contact avec eux, une répétition en tous points semblables à ce qui avait eu lieu 40 ans auparavant, en 1967. L’enthousiasme est tel que personne n’ose en douter!

La grosse roulotte

Lors du premier réseau, Jacques VE2DJQ, spécialiste des causes difficiles, venait d’apprendre que la roulotte d’un ami sur laquelle il comptait pour le Musée n’était plus disponible. En désespoir de cause, il se présente au réseau et nous fait part de son “problème”; la nécessité d’avoir une roulotte d’au moins 20 pieds pour y loger les pièces du Musée de la radio. Je sais que Claude, VE2SOB, possède une telle roulotte. Je lui téléphone sur le champ. Pas de chance! Il vient tout juste de la vendre l’après-midi même. Mais Claude est un ami plein de ressources! Et il adore la radioamateur! Il me promet qu’il va s’occuper de cet aspect de notre “problème”.

Avant même la fin du réseau, il vient nous dire qu’il va nous procurer une roulotte de 20 pieds et qu’il se charge de tous les frais. L’entreprise de locations n’ayant pas en ce moment de roulotte de 20 pieds, qu’à cela ne tienne! Il en loue une de 40 pieds, à la grande joie de Jacques VE2DJQ qui devra à son tour se procurer un camion plus gros pour transporter ses pièces. L’effet domino dans toute sa splendeur!

Jeudi matin, 8h, le 12 juillet, Jean VE2JMK transporte la roulotte de RAQI sur le site qui nous a été assigné par les autorités du parc Jean- Drapeau, c’est-à-dire l’ancien pavillon de la Corée. Il attend patiemment la grosse roulotte. Elle arrive enfin mais le chauffeur, après maintes contorsions véhiculaires réalise qu’il n’est pas possible de la faire entrer sous le pavillon. Ce n’était pas une erreur de l’organisation. Même si Jean, Roland et Jacques avaient pris en note toutes les mesures jugées utiles, ces mesures étaient pour une roulotte de 20 pieds, pas pour une roulotte de 40 pieds! Encore une fois, la responsable du parc qui, entre parenthèses, ne “s’enfargeait” pas dans les fleurs du tapis, trouve rapidement un autre endroit, pas très éloigné du premier et autorise immédiatement notre groupe à établir notre campement à cet endroit. Rien n’arrive pour rien! Ce nouvel emplacement est un endroit de rêve! Mieux situé que le premier finalement, à l’orée d’un boisé, en face de la sortie du métro avec un trafic piétonnier intense qui permettra de donner beaucoup plus de visibilité à la radioamateur, au Musée et aux opérations qui se tiendront en plein air pour une grande partie de la période.

L’installation sur le site

Les roulottes maintenant installées, il restait à les raccorder au courant électrique. Encore une fois, la responsable du parc, avec sa célérité habituelle, a vite fait de solutionner le problème en faisant venir un électricien de la ville de Montréal. Il restait maintenant à compléter l’installation des équipements radio et des antennes. Ce travail était la responsabilité de Jean VE2JMK, aidé de Michel VA2MAA et de Martin VE2MJT, qui ont dû travailler sans relâche pour que tout soit prêt selon l’échéancier que Roland avait fixé, soit le lendemain, vendredi, à 15h. Jean a été sans contredit le grand architecte et un membre à part entière de l’équipe qui a assuré le succès de cette aventure peu banale. Il était responsable de tout ce qui était équipement, que ce soit les roulottes, les radios, les antennes, etc. en plus de superviser l’ouverture l’ouverture et la fermeture du site, et ce, durant ces deux semaines d’activités. Il a été présent sur le site de l’Île Ste-Hélène à tous les jours s’assurant à ce que personne ne manque de rien, entre-autres de bouteilles d’eau, très utiles durant cette période de canicule...

Le premier contact avec la station de l’ARRL, W1AW, s’est effectué dans des conditions plus que misérables. Il a même fallu sortir la clé de morse pour le terminer, mais le chef opérateur de l'ARRL nous a entendu et a été en mesure de confirmer le contact. On peut voir un entrefilet sur la photo de la page précédente publié dans le dernier numéro du magazine QST.

Suite à ce premier contact, les opérations se sont poursuivies presque sans relâche durant les deux semaines qu’a duré cette aventure. Steve, VE2TKH est même venu de St-Boniface-de-Shawinigan avec son propre équipement et a opéré durant trois nuits consécutives, en plus bien entendu, des nombreux autres opérateurs, qui, chacun leur tour, sont venus passer quelques heures sur le site.

Deux réseaux ont été présentés à partir de l’Île Ste-Hélène, l’un en VHF où plus de 120 amateurs ont signalé leur présence, et un autre en HF où on a connu des embouteillages monstres et qui a enregistré environ le même nombre de radioamateurs venus de tous les coins du Québec, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Nous tenons à remercier Serge VE2AWR et Micheline VE2AZJ qui nous ont aimablement cédé la fréquence 3.780MHz ce soir là et un merci particulier à Marc VE2MBK qui a généreusement laissé sa place d’animateur du dimanche permettant ainsi à plus d’une centaine de stations de se présenter à ce réseau spécial en provenance de VE2XPO. Une carte QSL a été envoyée à ces stations dans les semaines qui ont suivi.

Implication du Musée de la radio

L'un des volets importants de cet événement sur l'Île Ste-Hélène fut sans contredit l'exposition tenue sur place par le Musée de la radio. Son président, Jacques VE2DJQ, avait patiemment rassemblé depuis quelques années la plupart des équipements utilisés en 1967 à la station VE2XPO, au Pavillon de la Jeunesse, avec l'intention d'en faire l'une des stations commémoratives du futur musée! L'occasion lui était donnée de procurer aux visiteurs intéressés un aperçu de la chose… dans une spacieuse maison mobile, toute équipée et avec air climatisé s'il vous plaît, gracieusement fournie par Claude VE2SOB! Merci, Claude en passant!

Dans un montage professionnel, auquel nous a déjà habitué le Musée de la radio, les visiteurs ont pu admirer la station-vedette de l'EXPO '67, le SR-2000 Hurricane aimablement fourni à l'époque par le célèbre fabricant américain Hallicrafters, complètement restauré au cours de 2006 par les soins de Clément VE2BIA aidé de Jacques VE2BNE, et parfaitement fonctionnel! Une pièce extraordinaire, accompagnée de la clé de morse originale, montée par Roland VE2PX lui-même et utilisée par VE2XPO en 1967, et du HA-1 TO Keyer, aussi d'origine. Une beauté qui en a fait saliver plusieurs!

Tout à côté, trônaient les SB-300 et SB-400 de Heathkit en compagnie du SB-610 de la même compagnie et d'un merveilleux D-104 flambant neuf!

La station Heathkit exposée était aussi la station originale de 1967, retrouvée en parfait état de conservation par Jacques VE2DJQ 2 ans auparavant chez un radioamateur ontarien Mark VE3MKX, collectionneur de pièces Heathkit, et maintenant en possession du Musée depuis septembre 2006.

Dans un troisième présentoir, une station TR-4 de Drake (1967), identique celle-là à l'originale utilisée par VE2XPO et aussi en excellent état, complétait le tableau de la station d'origine. Il ne manquait que le Swan 500 que Jacques recherche toujours, (soit dit en passant!) pour avoir devant les yeux la station complète de l ' époque ! Quels souvenirs! L'exposition présentée par le Musée comptait deux autres présentoirs. Le premier était un clin d'oeil à la Compagnie Heathkit, dont la plupart des radioamateurs ont eu l'occasion de construire à un moment ou l'autre une pièce d'équipement.

On pouvait y examiner un émetteur CW DX-40, une "boîte à lunch" Twoer (AM 144 mHz) et un SWR mètre des années 1950. Le dernier présentoir, mais non le moindre, révélait un des "trésors "du Musée: un récepteur de 1920 construit "maison" spécialement spécialement et expressément pour le président fondateur de la "grande maison de la rue St-Jacques" à Montréal, nul autre que M . Bernard Payette lui même! Tous se sont souvenus de l'importance fantastique que cette quasi "institution de l'électronique au Québec" a eu pour les radioamateurs et pour laquelle notre ami Roland VE2PX a travaillé pendant de nombreuses années! Encore des beaux souvenirs!

Plusieurs centaines de visiteurs ont pu admirer cette exposition et Jacques VE2DJQ nous a dit avoir été surpris à maintes reprises par la grande qualité des visiteurs, souvent connaisseurs de la radio, de l'électronique ou même de la radioamateur!

Sur les murs de la salle d'exposition et aussi à l'extérieur de la maison mobile , étaient affichées diverses photographies dont des panneaux explicatifs du rôle de la radioamateur en cas d'urgence ou de sinistre, avec des exemples de la crise du verglas de 1998 au Québec et le récent ouragan Katrina aux USA. Tous ces visiteurs, ainsi que les milliers de passants qui ont circulé devant les installations de VE2XPO 2007, ont pu prendre un contact privilégié avec la radioamateur et les personnes qui pratiquent le hobby, tout en mettant leurs stations et leur expertise au service de la population.

Conclusion

Une organisation de cette envergure demande une collaboration exceptionnelle de la part de tous ceux qui y participent. Durant les deux semaines que cette belle aventure a durée, 926 contacts ont été effectués dans 46 pays différents et dans tous les modes CW, SSB, FM et numériques. Les participants ont pu constater la bonne entente qui régnait sur le site et qui a permis de faire de cette rencontre un événement de grande classe.

Ce qui m’a le plus frappé durant ces deux semaines de grande agitation dans la communauté radioamateur, fut en premier lieu la grande facilité de ceux-ci à réagir rapidement et efficacement lors d’une occasion qui sort de la routine ordinaire, et en deuxième lieu cet esprit de collaboration inconditionnel entre chacun des participants pour faire en sorte que ce projet de l’un des leurs soit une réussite totale.

À partir d’une “idée de fou”, telle que qualifiée par son auteur lui-même, et dont tous ces amateurs bénévoles se sont emparée, le vieux rêve auquel Roland VE2PX songeait depuis si longtemps est enfin devenu réalité.

Avec la collaboration d’une telle équipe, toute aussi déterminée que dévouée et compétente, il sera dorénavant permis de croire, tel que raconte l’une des belles chansons de Jacques Brel, qu’il deviendrait possible d’atteindre cette “inaccessible étoile”.